François Ozon devait trouver qu’on ne parlait pas assez de son film Jeune et Jolie à Cannes pour sortir une énormité pareille : «Beaucoup de femmes fantasment de se prostituer. Ce qui ne veut pas dire qu’elles le font, mais être payé pour une relation sexuelle est quelque chose de patent dans la sexualité féminine.» Première nouvelle. On connaissait le fantasme du voisin, celui du maître nageur, mais pas vraiment celui de la passe. Pourtant, François Ozon n’est pas le premier à poser la question : de Belle de jour à Pretty Woman en passant par Proposition indécente, la relation sexuelle tarifée en a inspiré d’autres avant lui.
Mais si François Ozon soutient que la prostitution est un fantasme de femmes, la filmographie sur le sujet suggère que le thème de la pute épanouie passionne surtout les hommes, même si certaines réalisatrices s’y sont intéressées. Quand elles abordent le sujet, les réalisatrices versent rarement dans la sublimation d’un acte qui n’a pas grand-chose à voir avec le plaisir féminin. Mais après tout, ce n’est que du cinéma, alors pourquoi s’interdire certains scénarios enjolivant la réalité et ne pas mettre en scène de beaux et fringants clients au grand cœur qui feront succomber l’héroïne? Le fabuleux destin de Vivian aka Julia Roberts dans Pretty Woman était un joli conte de fées qui ne prétendait ni témoigner du difficile quotidien de prostituée ni interroger notre sexualité.
François Ozon peut donc mettre en scène autant d’adolescentes prostituées qu’il le souhaite, tant qu’il ne prétend pas refléter la réalité, ou pire, les désirs enfouis de tout un sexe. Car derrière l’acte sexuel payé, il y a un rapport de domination, qui, historiquement, a distribué les rôles de la façon que l’on sait. Il semblerait que dans sa brillante démonstration , le réalisateur ait confondu soumission et rémunération. Si domination et soumission figurent bien au cœur des fantasmes sexuels (tous sexes confondus) la violence inhérente à la prostitution l’est bien plus rarement. Fantasmer d’être rabaissée au pur statut d’objet que l’on peut s’offrir est peut-être une réalité pour certaines, mais il est loin d’être une évidence pour toutes : pas besoin d’être doctorant en psychologie pour comprendre que le fantasme n’est pas le même que l’on se place du côté du client ou de la prestataire.
Et même si le syndrome Zahia de l’argent pseudo facile est dans l’air du temps, attention à ne pas tout confondre. Les femmes qui gagnent leur vie en vendant leur corps le font rarement par gaieté de cœur et certainement pas par désir sexuel. Il semble donc particulièrement maladroit de placer sur le même registre la nécessité économique qui pousse à monnayer ses charmes et l’exploration intellectuelle que constitue un fantasme. Difficile d’échafauder des scénarios émoustillants quand on ne croit plus aux contes de fées et qu’on a croisé le chemin d’une de ces femmes du boulevard de Belleville et que l’espace d’une seconde on s’est imaginées à sa place, avant de s’avouer, soulagée, que l’on avait de la chance de ne pas y être, à sa place.
Si Ozon avait parlé du fantasme d’être SDF ou de celui d’être torturé, le parallèle indécent choquerait tout le monde. Ne mélangeons donc pas tout et ne confondons pas sexe et désir : les deux ne vont pas toujours ensemble, surtout quand on se prostitue. Et s’il existe un fantasme malheureusement très répandu, c’est le traditionnel « toutes des putes », que le cinéaste vient de raviver avec son commentaire décidément bien peu inspiré.
Myriam Levain
Et que dire du fantasme de beaucoup de femmes, qui est celui du « viol » ? Qui, pour exemple, consiste à être aggripée par surprise, les yeux bandés dans la foulé, ne pas comprendre ce qu’il se passe et le rapport qui commence avec un certain désir et une passion dans l’acte, qui sont décuplés. Tout ceci dans un scénario élaboré à l’avance bien entendu, mais c’est ce fantasme qui consiste, dans l’imaginaire durant le rapport, de le faire avec un inconnu, que ce soit bref, mais très fort. Parce que là aussi on peut aller très loin, parler de la souffrance de toutes ces femmes violées, de l’horreur de la chose et pourquoi d’autre femme recherche à créer une sensation similaire.
Donc mon avis c’est que suivant la position des gens, comment on voit la chose, on peut très vite s’offusquer alors que ça n’était pas forcément la démarche première. Pour ce qui est de ce que je dis au-dessus, c’est du vécu et nombreuses sont les femmes qui l’ont en tête, même si elles ne veulent pas forcément l’avouer, ou vont l’aborder autrement.
« Il semblerait que dans sa brillante démonstration , le réalisateur ait confondu soumission et rémunération. » Et pas que le réalisateur, apparemment… (soupir…)
et si vous parliez pour vous ?
Merci de ne pas confondre « beaucoup » et « certaines ».
Parce que de beaucoup, il n’y a qu’un pas jusqu’à la majorité… Et à toutes !
Et savoir qu’entre « être agrippée par surprise » et « être prise contre son gré », il y a un consentement qui fait défaut, et un pas à ne surtout pas franchir.
Par respect.
Le problème c’est surtout que ce fantasme ne soit prêté qu’aux femmes et donc enfonçe le clou du très machiste « elles aiment ça de toutes façons, qu’on les forçe ».
Ah mais non justement, on ne cherche pas « une sensation similaire » avec ce type de fantasme ! Dans un cas il y a du désir, dans l’autre c’est de la peur ! Rien à voir !
Dans le fantasme du viol, la femme qui fantasme maîtrise tout ce qui se passe, ça n’a rien a voir avec un viol où, par définition, l’agresseur s’impose et ne tient pas compte de ce que désire la femme violée !
Faudrait voir à pas tout mélanger…
« Les femmes qui gagnent leur vie en vendant leur corps le font rarement par gaieté de cœur et certainement pas par désir sexuel. »
J’aime beaucoup votre blog en général, mais je vous trouve là bien sûre de vous dans un domaine qu’aparemment vous ne connaissez que de loin et en passant. N’y voyez pas là une attaque personnelle, mais ayant l’expérience de la prositution, j’ai choisi cette voie non seulement car je préferais ça à un travail en mac donald & co, mais également car j’étais très curieuse de la nature des gens, des hommes mais aussi de la mienne et de ma vie sexuelle. Il y a eu certes des moments où la « gaieté de coeur n’était pas là » (comme n’importe quel autre travail) mais aussi des rencontres où j’ai vraiment pu éprouver du plaisir aussi bien mental que sexuel. Il faut arrêter de stigmatiser la prostitution et de généraliser.
Je suis sûre de mon côté et pour en avoir cotoyer beaucoup que les prostituées ne sont pas les femmes les plus malheureuses au monde… et aucun homme n’a jamais forcé mon choix.
Quant au fantasme de viol ou de prostitution, je ne crois pas qu’il y ait plus de films évoquant la prostitution qu’il y ait de films évoquant les super-héros ou en ce moment les vampires et autres créatures mythiques…
Après l’art et la manière est une autre discussion…