2014, année féministe?

29 Déc

Emma Watson ONU

S’il y a bien une chose qui a distingué 2014 des années précédentes, c’est l’écho médiatique donné aux sujets féministes. Habituellement cantonnés aux entrefilets des journaux, ils se sont payé le luxe d’occuper l’espace régulièrement, à travers des dossiers voire des couvertures dans les magazines.

Si les Femen avaient amorcé le boulot -pour de bonnes ou  de mauvaises raisons, elles ont donné un coup de projecteur sur ces sujets- elles se sont fait emboîter le pas cette année par diverses popstars qui ont probablement fait plus pour la popularisation de la cause que le militantisme quotidien de toutes les féministes les plus convaincues. On peut déplorer notre système médiatique ingrat, qui offre plus de place aux paillettes des peoples qu’aux reportages dans un planning familial, mais le constat est implacable. Cette année aura donc été celle d’une tournée ultra-féministe de Beyoncé, d’une campagne « I am not bossy, I am the boss » relayée par des célébrités américaines, d’une prise de conscience féministe pour Taylor Swift ou encore d’un coming out féministe de Pharrell. Toutes ces initiatives reflètent la disparition progressive de la frilosité entourant le concept de féminisme, trop souvent associé à de l’agressivité. Les fans de Florence Foresti peuvent d’ailleurs se préparer pour sa tournée 2015: on parle beaucoup de féminisme dans son nouveau spectacle, Madame Foresti. Quand on pense que l’interview de Zooey Deschanel à Glamour en janvier 2013, affirmant « I am a fucking feminist », en avait bouleversé plus d’un, on se dit qu’en deux ans, il y a eu pas mal de chemin parcouru sur ce terrain-là.

Il n’y a pas à en douter, le féminisme était à la mode en 2014, on a même donné un nom à cette tendance : le pop féminisme. Bien sûr, ce féminisme-là est fun, glamour, et très marketé. Il est souvent déconnecté des difficultés quotidiennes que connaissent les femmes (violences conjugales, précarité, inégalités salariales), mais il est symptomatique d’un changement dans la perception du concept. Désormais, il est possible de parler de ce sujet au plus grand nombre, et ce, dans des médias grand public.

Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite. Si un micro-espace s’est ouvert en 2014 avec la médiatisation du pop féminisme, on n’aura jamais non plus autant parlé de la théorie du genre, épouvantail brandi par les réactionnaires anti-mariage pour tous et anti-avortement pour justifier que surtout l’ordre établi ne bouge jamais. Rappelons donc l’évidence pour la énième fois: la théorie du genre n’existe pas. Les gender studies existent et questionnent la formation de l’identité sexuelle. Mais aucun courant universitaire n’a jamais incité les garçons à porter des jupes, contrairement à ce qui a été massivement raconté en 2014. L’écho médiatique du pop féminisme n’est peut-être rien à côté de celui de Farida Belghoul et Marine Le Pen, qui ont réussi à rendre audibles (et crédibles) une succession  d’idées farfelues.

L’écho médiatique du pop féminisme n’est également rien à côté du relai de la misogynie d’un certain Eric Zemmour, qui aura trusté les plateaux télé et les ventes de livres avec son Suicide français. Attaqué pour sa pensée réac et raciste, Eric Zemmour l’est beaucoup moins pour son sexisme, pourtant omniprésent dans son discours. L’analyse zemmourienne de la question est simple, voire simpliste : les femmes sont tout simplement à l’origine de la décadence de l’humanité. Pourquoi ? Parce que ces écervelées ont entrepris de partir à la conquête de l’économie et du pouvoir. Mis à part une altercation avec Mazarine Pingeot l’accusant de faire l’apologie du viol, peu de débats avec Eric Zemmour auront porté sur cet aspect de sa pensée. Un indice qui nous rappelle que la soudaine mode du féminisme ne pèse pas encore bien lourd face à la puissance des stéréotypes sexistes ancrés dans bien des mentalités.

Pourtant, s’il y avait une séquence médiatique et féministe à retenir en 2014, ce serait celle du discours d’Emma Watson à l’ONU, accueilli par une standing ovation le 21 septembre dernier. Par la solennité du lieu et du moment, la jeune comédienne britannique a réussi à transformer un moment de pop féminisme en évènement féministe tout court. Et par son statut d’actrice hollywoodienne, elle a réussi à sortir le débat de ses frontières traditionnelles et à lui offrir une visibilité inespérée. Elle aura surtout rappelé, en dix minutes et 6 millions de vues sur YouTube, que le féminisme n’est pas la haine anti-hommes mais l’espoir pour les femmes d’avoir les mêmes opportunités que les hommes. Et rien que pour ça, on peut dire que 2014 a été une année féministe.

Myriam Levain

 

 

2 Réponses to “2014, année féministe?”

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