Les incompétentes de Cannes

18 Mai

Crédits agence Bronx (photo ©Corbis/Bettmann)

Il y a d’abord eu une tribune, publiée dans Le Monde par La Barbe et signée par plusieurs comédiennes et réalisatrices. Le texte dénonçait l’absence totale de femmes dans la sélection 2012 du Festival de Cannes, et regrettait qu’on ne les cantonne qu’à des rôles de potiches. Un problème vieux comme la Croisette puisque nous l’évoquions déjà l’année dernière, alors même que plusieurs réalisatrices étaient sélectionnées. Seulement cette fois, la fameuse tribune a fait le buzz, circulé sur Twitter, été reprise dans de nombreux médias.

Et puis il y a eu Bérénice Béjo, qui, en voulant y répondre et balayer la question du sexisme cannois, nous a démontré que toutes nos inquiétudes étaient archi-fondées et que le syndrome de la princesse la concernait directement. Son rôle de maîtresse de cérémonie du festival ? « La porte s’ouvre et on a une jolie princesse qui sort ». Pour l’émancipation, on repassera. Bérénice Béjo en a d’ailleurs profité pour livrer son point de vue sur l’égalité homme-femme : « Je suis un petit peu plus conservatrice, j’imagine. Je pense qu’il y a des choses que les femmes font mieux, peut-être, que les hommes, il y a beaucoup plus d’infirmières que d’infirmiers. Voilà, le côté maternel, la douceur d’une maman. » Merci Bérénice !

La comédienne aura au moins essayé de s’emparer du sujet, alors que la profession est restée bien silencieuse. Pourtant il ne faut pas chercher loin pour trouver un regard critique sur la misogynie du monde du cinéma. Le Figaro Madame, pas particulièrement réputé pour sa subversion, a récemment recueilli quelques confidences sur ce thème, signe que dans ce milieu professionnel comme dans tant d’autres, l’égalité est encore un combat de tous les jours.

Enfin il y aura eu quelques réponses collectors, comme ce post de Serge Kaganski qui laisse clairement entendre que si les femmes ne sont pas sélectionnées à Cannes, c’est tout simplement parce qu’elles sont mauvaises « S’il y a peu de cinéastes femmes en compétition ou dans la liste des palmes d’or (attribuées rappelons-le par des jurys paritaires), c’est peut-être parce qu’il y a moins de grandes cinéastes que de grands cinéastes ? Voilà une vraie question (sans doute hérétique pour nos féministes pures et dures) ». Une ligne que partage d’ailleurs Thierry Frémaux, le délégué général du festival.

Ça vous rappelle quelque chose ? A nous aussi. L’éternel laïus sur le manque de femmes compétentes est le même partout. En politique, en entreprise, dans la haute fonction publique… en gros dès qu’il s’agit de partager le pouvoir. Ces pauvres messieurs ont beau chercher des profils adéquats, il n’y en aurait pas. A croire que les femmes ne vont pas à l’école, ne s’insèrent pas dans la vie professionnelle et ne font pas carrière. On a donc trouvé une solution à cette soi-disant incompétence : les quotas. Serge Kaganski et Thierry Frémaux ont l’air de trouver cette option absurde, mais peut-être devraient-ils y réfléchir pour les années à venir. Interviewée par l’AFP, la réalisatrice britannique Andrea Arnold, récompensée pour Fish Tank en 2009 et membre du jury cette année, a carrément assimilé les quotas à une « aumône », tout en précisant « Je pense que c’est vraiment dommage parce qu’il est clair que les femmes représentent la moitié de la population et qu’elles ont quelque chose à dire, elles ont une voix à faire entendre sur la vie en général et il serait bon qu’elles soient représentées ici ». Voilà, c’est exactement ce qu’on dit.

Et si les responsables de Cannes ne savent pas comment s’y prendre, ils n’ont qu’à jeter un œil sur le nouveau gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Loin d’être parfait, il a tout de même le mérite d’être strictement paritaire. Après des années à regretter qu’il n’y ait pas assez de femmes ministrables, le PS a subitement trouvé 17 personnes compétentes, soit autant que leurs homologues masculins. Comme quoi, il suffisait juste de chercher au bon endroit. Alors Cannes, le changement c’est pour quand ?

Myriam Levain

Laisser un commentaire